
Jean-Claude LEON (1946-2021)
C’est l’histoire d’un petit bonhomme solitaire, en fils d’acier, robuste et inoxydable, net et pur comme l’innocence, se positionnant dans des situations inextricables, ubuesques, mimant le comportement de ses congénères. Son œuvre, teintée d’humour, imaginative et parfaitement réglée, se décline en mini-épisodes, ciblant à chaque fois une attitude ou une mise en scène insoluble (« Sisyphe », « Des arguments de poids ») ; la solitude, le stress ou la détresse de l’homme (« Le cri », « Introspection », « Au bout du rouleau ») ; l’ambition (« Icare ») ; mais aussi les plaisirs simples de la vie (« La Caresse du vent ») ; ou le blocage, l’empêchement (« At…las »). Misérabilisme humain, Blaise Pascal en a fait des maximes pour nous guider, Léon, des trophées pour nous reconnaître.
Mais, Léon, prolonge aussi l’histoire de l’art, car son « Étude d’après la course de Picasso », par exemple, retient toutes les leçons d’étirement, de souplesse, d’élan, de liberté, ne conservant que l’ultime grâce du mouvement de la squelettique mécanique. « L’Aurige » est un autre clin d’œil à l’art géométrique grec, et ses « figurines » d’acier tubulaires filiformes, sans fard, lisses comme pour glisser sur les pesanteurs, répondent astucieusement, d’une manière minimaliste et directe, à « L’Homme qui marche » de Giacometti ou la sculpture « Roi et Reine » d’Henry Moore.
Pour rompre l’isolement du petit bonhomme, le distraire de ses péripéties et tracas habituels, Jean-Claude Léon le confronte de plus en plus à des objets usuels, tels un cadenas, une seringue (« Accros »), un réveille-matin (« Insomniaque »), ou des clefs (« S’en sortir »), etc. Ce détournement d’ustensiles séduira toujours, rappelant certaines expériences des surréalistes, et, pour le coup, par la précision des assemblages, enrichit son vocabulaire plastique. Parallèlement, des scénographies ou chemins de sculpture s’installent, telles des séquences dépliées à même le sol.
Alors, si les sculptures gigantesques d’Eduardo Chillida défient les éléments et nous écrasent, celles de Léon, par leur légèreté démonstrative, leur pudeur extrême, nous enchantent pour mieux nous interroger. Comme l’écriture hiéroglyphique, sinogrammes et autres pictogrammes, ses sculptures articulées en fil d’acier sont des signes forts et percutent habilement notre égo.
Jean-Philippe Rauzet