L’aventure des Indépendants Plasticiens de Bordeaux
Extrait du catalogue du 70ème anniversaire (2000)
L’aventure des INDEPENDANTS BORDELAIS commence en 1927. C’est une époque de transformations aussi profondes que rapides dans tous les domaines. Le bouleversement radical des formes d’art a commencé dans le dernier tiers du dix-neuvième.
Se crée à Paris le Salon des Artistes Indépendants qui admet d’emblée l’esprit d’ouverture et la diversité des tendances : impressionnistes, nabis, symbolistes, plus tard cubistes, etc…
Bordeaux est la première ville de province à créer à son tour un groupe d’artistes « Indépendants » dans ce même esprit de diversité et d’ouverture : chaque peintre a le désir de rencontrer les autres manières, les autres styles de création, tout en approfondissant sa manière personnelle. Il s’agit de connaître, et de faire connaître au public de Bordeaux, ces apports fabuleux de la peinture contemporaine, de comprendre ces nouveaux modes d’expression, d’y trouver un tremplin pour sa propre démarche créatrice.
« L’Ecole de Paris ne nous étonne plus. On veut des peintres plus instinctifs, plus proches de leur vie profonde. »
Le groupe est pour chacun des membres un espace de confiance, d’émulation et de projets. C’est aussi un lieu d’échanges et de confrontations. Par exemple entre ceux qui sont passionnément convaincus que l’essentiel pour l’artiste est l’expression de soi-même, et ceux qui disent que l’essentiel est dans la recherche formelle, plus importante même que l’émotion. Les débats sont vigoureux, mais l’amitié reste chaleureuse.
Pour avoir plus de précisions sur la vie du groupe des Indépendants Bordelais à cette époque, il faut lire l’étude à la fois précise et chaleureuse de Dominique CANTE.
…. Les INDEPENDANTS ne se sont guère intéressés à deux grands courants de la peinture qui leur était contemporaine : le surréalisme et l’art abstrait.
L’enfant terrible du groupe, Pierre MOLINIER, découvrira le surréalisme après la guerre. Cette découverte fera de lui qui peignait jusque-là dans la tradition néo-impressionniste un autre peintre que ses amis eux-mêmes ne reconnaissent plus.
Quant à l’art abstrait, il arrivera après la guerre et nous verrons que la confrontation avec l’art abstrait sera redoutable pour le groupe.
Retenons, pour cette période d’avant-guerre, la passion, la sincérité, l’enthousiasme de ces jeunes peintres et leur exigence de qualité. Ils ont vraiment su créer un lieu « d’art vivant ».
Nous arrivons aux sombres années de la guerre.
En 1939 et 1940, il n’y aura pas de Salon des INDEPENDANTS.
Pour affronter les difficultés, les sociétés de peintres se regroupent. Les INDEPENDANTS vont s’unir aux peintres de l’ATELIER. Le groupe de l’ATELIER avait une coloration plus officielle, mais il y avait toujours eu des amitiés de personnes entre les deux groupes.
L’équipe de l’ŒUVRE, une Société plus récente, les rejoint. Les trois groupes vont exposer ensemble, pendant la guerre, au Musée de Bordeaux. Ils exposent en même temps et au même lieu, mais non dans la même salle que la très académique Sociétés des AMIS DES ARTS.
Dans cette fusion, et la tourmente de l’époque, les INDEPENDANTS essaient de garder leur âme.
Les préfaces des catalogues en portent le témoignage :
En 1941, le doyen de la Facultés des lettres, André DALBON, exalte la force de l’art pour s’affirmer et pour survivre.
J. LEMOINE écrit :
Ici comme ailleurs, l’Artiste proclame la nécessité de se libérer de toutes les disciplines considérées comme des contraintes.
Dans ces années-là, le mot « INDEPENDANCE » et le mot «LIBERTE » ont pris pour les peintres, comme pour l’ensemble des Français, un sens plus précis.
En 1945, il y aura encore une exposition commune.
Les INDEPENDANTS, comme d’ailleurs chacune des autres Sociétés, reprennent leur propre démarche.
Les années qui suivent la Libération amènent de nouveaux adhérents. Ils sont si nombreux qu’on ne saurait les citer tous.
La chaleur est retrouvée dans le groupe : élan d’un nouveau départ dans la confiance et l’amitié. Le consensus est d’autant plus facile que la guerre et la résistance avait conduit les artistes à la synthèse de la tradition et de la modernité : image de la pérennité de La France. On apprenait ainsi à célébrer les choses simples de la vie, mais dans une mise en page cubiste.
André LHOTE envoie un texte pour le catalogue de 1948. Ce texte est important. André LHOTE est encore la référence majeure pour le groupe. André LHOTE défenseur de l’art moderne, mais qui n’a jamais donné son adhésion à l’art abstrait.
Les choses vont aller très vite. J. Maurice GAY a succédé à A.J. LAROQUE, comme Président de la Société. Le premier Salon qu’il préside a comme slogan : « Méfiez-vous de l’esprit indépendant ». Le nouveau président ne manquait pas de personnalité. Lui regardait du côté de l’art abstrait. En 1950, il s’adresse ainsi aux sociétaires dans le catalogue de leur Salon :
« En vingt ans, vous avez tant fait que l’échelle des valeurs s’est trouvée complètement renversée. Vous voilà donc devenus en quelque sorte des peintres officiels. La question se pose maintenant de savoir si les tendances que vous représentez constituent toujours une avant-garde »
Il est vrai que dès 1949, le jeune Maire de Bordeaux, Jacques CHABAN-DELMAS leur avait manifesté son admiration et son soutien. Mais l’analyse de J. Maurice GAY ne manquait ni de lucidité, ni de force. Et la question posée à la fin était redoutable.
Les sociétaires sont, semble- t-il, unanimes pour souhaiter que la vie et l’élan créateur animent le groupe, mais ils donnent à leur dynamisme des directions diverses. Certains pensent qu’il faudrait « faire le point des découvertes », « opérer le rassemblement de tous les mouvements plasticiens de ce dernier demi-siècle »
Dans les années 50, les A.I.B. (Artistes Indépendants Bordelais) bataillent contre les salons dits” académiques”: L’Atelier, Les Amis des Arts, Palette, où l’on s’extasiait devant les pots de fleurs et les arcachonnades … “Brûler les pompiers, traînards de principes “ dira Emile TORRENTE. Le temps où les bonnes mœurs recouvraient d’un suaire noir les Bas Résilles flamboyants de MOLINIE.
Les incendiaires de l’époque : J. Maurice GAY, J. BELAUBRE, TAMALET, PARGADE, DUBOURG, MAZEAUD, BOISSONNET SARTHOU invitèrent de jeunes et de moins jeunes peintres : COHR, COUTARD, HUGON, LASSERRE, THERON, TORRENTE, (Il y a sur les murs de la Mairie de Mérignac de nombreuses œuvres de ces peintres, achetées par le Maire Robert Brettes)
Période de grande ferveur. Les artistes se retrouvent dans l’arrière-salle d’un bistrot chaque semaine et invitent un ténor, pour refaire le monde … C’est TEYSSANDIER, PISTRE ou BOISSONNET.
Au salon de 54 on trouve déjà sur les mêmes cimaises, des œuvres d’artistes allant dans des directions opposées : Elisabeth CALCAGNI, héritière de BISSIERES et son “ Paysagisme Abstrait “ et Denise BONVALLET-PHILIPPON, HOUDUSSE plus proches d’une Figuration moderne.
Coup de théâtre ! Rupture montrant que des clivages se font jour. C’est, comme dans le même temps à Paris, la bataille entre les partisans de l’Abstraction Lyrique (Action Painting de l’américain Franz KLINE), de l’Abstraction Géométrique, d’une part et les Figuratifs eux-mêmes partagés entre héritiers du Cubisme et les fidèles à une tradition française bien comprise !
Trois courants se dessinent alors : Le groupe” Structures”, abstraits purs et durs : J. Maurice GAY, BOYER, MAZEAUD, TEYSSANDIER, LOURTEAUD.
Le groupe “ Solstice” entre abstraction et figuration, avec PISTRE, LASSERRE, J.de BERNE, Marc DULOUT, Serge LABEGORRE…
Le groupe “ Regards” : figuration de qualité : Henriette BOUNIN, PARGADE, SOULAN, BELAUBRE, CANTE ….
Exposition commune, mais séparée… des A.I.B avec Denise BONVALLET-PHILIPPON, HUGON, Michel PAGES, SUDRE… et d’autre part le groupe “Solstice”, à la Galerie des Beaux-arts
L’année suivante, Henriette BOUNIN ouvre la Galerie du Fleuve, Cours du Chapeau Rouge. Elle attire une nouvelle génération d’amateurs d’Art, qui trouvent sur place des artistes qu’ils cherchaient à Paris. Mais, dans le sous-sol de cette galerie Jean-Louis FROMENT et sa femme Josy, créent un lieu orienté vers l’Art Contemporain.
Jacques BELAUBRE avait essayé de recoller les morceaux en créant « l’Arche » . Mais celle-ci sombre lors d’un vernissage raté, piraté par de jeunes loups contestataires.
Après ce désastre, c’est encore lui, infatigable rassembleur qui eut l’idée d’attirer les sympathies de quelques amateurs d’Art pour créer une nouvelle association. Ce fut ainsi qu’en 1971 va naître “Septemvir” (les sept sages ) avec le bâtonnier Henri BOERNER, Jean dit CAZEAUX, commissaire-priseur, le Docteur BOINEAU, le Professeur LATRILLE, Doyen de la Faculté, Raymond MIRANDE, verrier et émailleur , Claude LASSERRE peintre.
C’est une période charnière car les rescapés de ces turbulences qui n’entrent pas dans le giron de Septemvir, se sont comptés. Les Artistes Indépendants d’Aquitaine persistent et signent ! Ils continuent désormais leur chemin, plus ou moins sereinement. On voit des tendances plus traditionnelles sous la présidence de Denyse BERTRAND, et des élans vers le courant “fantastique “ inspiré de Léonore FINI et des Pré-Raphaélites, avec Marie-Joseph RAYMOND-CHAROS. Cette dernière reprend les rênes avec énergie et met sur les rails un groupe plus homogène et convivial.
Les Entrepôts Lainé, deviennent C.A.P.C., avec Jean-Louis Froment, sponsorisés par Jacques CHABAN-DELMAS et son épouse Micheline. Dans les années 80, l’Art dit “Conceptuel “ domine sur la place.
Dans les années 95, des tensions apparaissent, cette fois, avec la Mairie qui veut récupérer la Galerie des Beaux-Arts au profit d’expositions de prestige organisées par les conservateurs du Musée du Cours d’Albret. Les sociétés artistiques se voient offrir, en compensation l’espace St Rémi, actuel, préparé par l’Architecte M. GOUTAL.
Le groupe Septemvir en conflit ouvert avec la Mairie, en raison de ce changement de lieu, jette l’éponge peu de temps après.
Les Artistes Indépendants D’Aquitaine, toujours debout et présidés par Robert de BOISSEL, essuient les plâtres de cette nouvelle configuration, et publient pour l’occasion de la 70ème exposition du groupe, un catalogue conséquent, avec l’aide de MECENART.
D’après un texte de Jacques COCHERIL
Cette période marque encore un tournant : l’appellation “ Salon” disparait au profit de “Rencontres”. « Rencontres”, est un rendez-vous entre des artistes et un public.
C’est aussi la fin des Prix et Récompenses décernés par un jury extérieur. Désormais, le public fait son choix lui-même.
Le contexte n’est plus le même : un changement s’est bien opéré en quelques années ; après les démonstrations et prises de position claniques des années 60, les artistes ne défendent plus que leur propre production, sans référence particulière aux avant-gardes contemporaines. Certains d’entre eux émargent d’ailleurs à plusieurs sociétés artistiques, tant les frontières sont peu lisibles …Il faut bien reconnaitre que les Indépendants ne font plus autant référence dans le monde artistique bordelais. De nombreuses galeries se sont ouvertes, comme le “Troisième Oeil “ d’Anne-Marie MARQUETTE, qui expose GARDAIR, LOUTRE B. et bien d’autres.
L’originalité voulue par le nouveau bureau des Indépendants des années 2000, se fera dans l’investissement de l’Espace St Rémi conçu comme un lieu scénique. Des contacts serrés sont pris avec les responsables culturels de la Mairie, en vue d’obtenir quelque manne pour financer les nombreux projets qui fusent de tous côtés … Nous obtenons une écoute attentive de la part de Martine MOULIN-BOUDART et Michel Pierre, puis de Jean-François LHERETE. Cependant notre interlocuteur privilégié est Mr DUCASSOU. Cela se concrétise par des buffets somptueux lors des vernissages et l’impression des cartons d’invitation, mais Robert de BOISSEL, tout en les remerciant, exprimera, avec un zeste d’impertinence, notre déception de ne pas être mieux reconnus en tant qu’artistes à part entière alors que l’art « officiel » a pignon sur rue….. Les Bâtiments de France imposent des limites drastiques dans l’utilisation de l’Espace St Rémi. La Mairie nous demande aussi de libérer de la place pendant les expositions pour des concerts ou représentations théâtrales organisés par d’autres personnes.
Cependant, les Indépendants se lancent dans des présentations élaborées avec des montages originaux et collectifs. Isabelle NARRING, toujours plus créative, imagine une sorte de “grand bleu “, Sylvain GEORGES de son côté et Jean-Marie SEMAT avec Alain VACHON et Catherine HAIRON-PAILHASSAR, des ensembles monumentaux. On pourrait en citer beaucoup d’autres …Jacques de BERNE dans un rôle de metteur en scène, autre facette de son talent, fait jouer dans des intermèdes littéraires et poétiques, certains d’entre nous. Les musiciens sont aussi invités lors des vernissages ou à la fin des expositions.
Robert de BOISSEL cède la place en 2005 à Nathalie DUCOUSSO qui fait la transition avec Anne de BUTTET. Son souhait le plus cher aura été de créer, et faire perdurer, un climat d’amitié entre nous, propice à tous les élans et toutes les audaces.
Les Indépendants enchaînent les expositions. Tout d’abord leur exposition phare et annuelle à l’Espace Saint-Rémi de Bordeaux. Puis, s’étant mis en quête de nouveaux lieux pouvant les accueillir, ils exposent au musée de Sonneville à Gradignan, musée créé en l’honneur de l’Indépendant du même nom et un des fondateurs du groupe. Ils exposent également au Carré des Jalles à Saint-Médard-en-Jalles et ont fait l’expérience hardie d’exposer plusieurs fois sur les quais de Bordeaux devant la Place des Quinconces.
Les Indépendants cherchent à s’enrichir constamment en diversifiant leurs moyens d’expression au cœur de leurs expositions et en s’ouvrant aux artistes contemporains du son et de la musique électronique, des performances, des installations sonores et des vidéos, tels Benjamin Begey-Billgraben et Gaël Jaton.